LES ENFANTS DE DAGON - De Profundis -


02 janvier 2024

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GROUPE: LES ENFANTS DE DAGON

TITRE ALBUM: De Profundis

LABEL: Sliptrick Records

DATE DE SORTIE: 2022

Lovecraft est à la musique extrême ce que Tolkien est à la musique extrême : une source d’inspiration inépuisable. Et si Cthulhu est une star internationale que ce soit dans le thrash, le doom, le death ou le black metal, cet état de fait est moins évident pour le Dieu Dagon et son culte. Et l’univers de Lovecraft est toujours difficile à mettre en image ou même en musique. Et nombre de ceux qui s’y sont frottés se sont cassés les dents. L’univers de Lovecraft provoque toujours quelque chose de dérangeant et de malsain, quelque chose d’angoissant et de marin ou sous-marin.

En 2001, Stuart Gordon réalisait un film nommé « Dagon » dont l’ambiance nourrissait pleinement le rendu d’atmosphères propres à Lovecraft, sauf que ce film s’inspirait plus de la nouvelle « Le cauchemar d’Innsmouth » que de « Dagon » elle-même. Ce que LES ENFANTS DE DAGON font également.

Et donc pour offrir l’univers de Lovecraft en pâture, il faut être certain d’arriver à faire ressortir tout forme musicale de manière glauque et sordide. C’est une chose que l’on n’enlèvera pas aux ENFANTS DE DAGON.

Cette troupe de saltimbanques troubadours issus de monde
s différents arrive à recréer cette ambiance grâce , non seulement à la musique de leur premier album, mais aussi aux textes et contexte qui l’entourent ainsi qu’aux visuels proposés. Ce qui, loin des préceptes de la musique extrême qui veut que seule la musique compte ( et que c’est à cela qu’on apprécie vraiment la qualité du musicien quand elle n’est pas parasitée par d’autres arts) attirera bon nombre de curieux, badauds et esprits ouverts, pour laisser au loin à perte de vue dans l’horizon les enivrés de musique extrême pure, brutale sauvage et primaire, en train de galérer sur le radeau de leur méduse.
La musique chez LES ENFANTS DE DAGON est plus sophistiquée et pour l’apprécier il faut remonter quelque
s années en arrière…

Point de thrash, point de death pur, point de sympho, bien que la voix de soprano de Céline Chassy vous incite assez rapidement à y penser pour ensuite vous raviser. Non, LES ENFANTS DE DAGON oscillent entre ce que l’on avait pu appeler dans la fin des années 90’s , une certaine catégorie de Dark Metal. Ce qui dessine la musique de ce premier album c’est ce mélange non violent mais ténébreux, de musiques dark presque black parfois où se mêlent quelques effluves gothiques. Alors immédiatement vous penserez aux écoutes des membres de ces sept piliers , certainement à du Lacuna Coil, et autres choses tellement accessibles. Ce qui est totalement possible, mais en fait lorsqu’on écoute « DE PROFUNDIS » pour peu que l’on soit assis sur le rebord du monde de la musique extrême depuis des décennies, on y trouvera plus un mélange des polonais de Darzamat sur leur premier album « In the Flames of black art », avec les ambiances sombres que pouvait créer les portugais de Moonspell dans leur énième période de remise en question avec « Night Eternal » , le tout sentant légèrement les embruns proches du théatralisme dramatique d’un Athanor sur « Le testament du diable », sorti en 2006 (avec Thomas Billerey qui jouait aussi chez Minushuman), le tout enveloppé dans un linceul de doom/death non traditionnel mais mélancolique. Pour ceux qui ne connaissent pas Athanor, ce genre d’oeuvre aussi travaillée, vous surprendra.

Ce premier album « De profundis » donc se révèle en dix actes, et si le groupe se compose de tant de membres, c’est parce que chacun s’affaire à sa mission, à commencer par Laurent Francheteau (Ex-Athrepsy pour ceux qui ont vécu) et Céline Chassy qui s’octroient le contrôle du mouvement à travers leur chant guttural pour l’un et soprano pour l’autre. Mais à cela ajoutons en plus de la basse du sieur Frédéric Caillat-Mousse (Ellipsis), ainsi que la batterie, les claviers et deux guitares.

LES ENFANTS DE DAGON construisent leur histoire avec alternance puisque tout ce que vous n’aurez pas pu découvrir sur ces dix chapitres, vous sera conté dans le roman « Sous ces profondeurs » .
Loin de la brutalité des polonais de Vader cet homonyme musical s’adresse aux lecteurs autant qu’aux auditeurs.

Cet album est sombre et
lugubre sans jamais tomber dans la morbidité ou la putridité, et c’est dans une ligne de conduite toujours soignée que « De Profundis » alterne son étrangeté musicale.
Tout d’abord, la voix de Céline Chassy s’immisce dans l’atmosphère faisant office de brume pour poser le décor tandis que la musique composée par Thomas Combépine (guitares), maître d’oeuvre, sculpte avec chaque note l’univers dérangeant de HP Lovecraft. Et c’est dans ce death/doom majoritaire qu’avance les premiers titres.

Pourtant si la notion de dark metal leur va si bien, les vocaux de Laurent Francheteau ne restent pas figés, ni cantonnés à un guttural death et c’est bien cette passation de pouvoir entre les deux vocalistes qui explorent tout ce qui leur est possible d’explorer que les images se montent jusqu’à s’encanailler avec des passages plus black metal . On sent que l’objectif est grand et qu’en plus d’écrire des textes qui servent de réel support, en plus d’offrir des visuels scéniques, mais aussi illustratifs sur le livret grâce au travail de Matisse Jacquet et Kent Overby Struck, le groupe a travaillé d’arrache pied pour créer un monde complet, jusqu’au plus petit objet.

LES ENFANTS DE DAGON se sont entourés d’inspiration et d’audace pour écrire un album profond et riche de ses idées, en le poussant jusqu’aux limites de la matérialisation.
Pas de hasard, et de la minutie, voici ce que contiennent les titres. Lorsque l’on arrive sur « A silent Pier », même si l’on avait pu avoir quelque mal à y entrer complètement, LES ENFANTS DE DAGON vous poussent de la falaise, et ce morceau vous noie dans la meilleure atmosphère que le groupe propose dans son conte irréel.

On comprend mieux l’oeuvre à partir de ce morceau, tout s’enchaîne d’une manière limpide, la tragédie se dresse sur des ambiances mid-tempo , où le mystère tient tête jusqu’à la fin. « Esoteric Order of Dagon » offrira ce qu’il y a de plus rugueux sur l’album avec un titre plus primaire que ses congénères.
Chaque chanson est une étape et l’album s’écoute comme on lit un livre, c’est le challenge que se sont donnés LES ENFANTS DE DAGON et le pari est réussi pourvu que l’on soit ouvert d’esprit.

On y laisserait son âme sur « Beyond » avec ses claviers lunaires, sa voix envoûtante et le violon de Jeanne Soler de l’Orchestre National de Lyon.

C’est sur « Fallen Angel » que les profondeurs se referment sur vous, avec plus de neuf minutes d’orchestrations progressives dans le mal le plus absolu où les riffs métalliques reviennent pour confirmer que LES ENFANTS DE DAGON ne font pas un opéra-rock.

Etrange autant qu’attirant, cet album se révèle et laisse apparaître une bonne porte d’entrée à un univers connu mais pas autant qu’on le croirait. Que chacun y pénètre et y voit ce qu’il comprendra.

02/01/2023

Arch Gros Barbare