
05 mai 2025
Groupe : BORGNE
Titre : Renaître de ses fanges
Label : Les acteurs de l’ombre productions
Année : 2025
BORGNE, ce duo suisse, fait partie des groupes sales, des groupes qui manient la crasse pour en faire quelque chose de souillé ; des groupes qui ingurgitent l’indigeste pour en recracher quelque chose qui dérange en donnant la nausée.
Un de ces groupes bâtards, sans que ce soit péjoratif, qui mêlent la noirceur du black metal contemporain (et parfois aussi malin que consanguin et aussi malsain qu’incompris) au néant et à son infini silence de mort.
BORGNE, ce groupe de deux entités, qui après vingt sept ans de carrière n’a pas perdu de son opacité maléfique.
Alors certains diront que onze albums et quelques eps sont déjà beaucoup, pour moins de trente ans d’existence, mais nous savons tous que la plupart du temps les gens qui mènent un (ancien) one man band sont toujours très productifs et débordent d’idées pour extirper le mal et la souffrance qui pourrissent en eux.
BORGNE , et plus particulièrement son Seigneur des ténèbres, officie depuis de nombreuses années dans le milieu, qu’il soit black metal, ambient, dark wave, en fonction des projets ; et son alliance avec la Reine du Kaos depuis 2017 aura donné naissance à des albums très sombres dans l’exploration de leur musique black indus, mais aussi dans la musique plus rituelle.
Et donc si vous plongez dans leur histoire, vous y découvrirez un monde totalement irréel, sans couleurs, où l’indus prend souvent le pas sur des atmosphères electro, et où le black metal demeure omniprésent avec sur les premiers albums, un regard vers ses origines et sa manière d’être violent, tandis que sur leur deuxième partie de discographie, la morphologie de leur musique change vers quelque chose de très malsain, un peu comme si Wumpscut rencontrait Abruptum, pour parfois avoir le regard rempli de haine et de désespoir dans une ambiance stellaire et cosmique (cf l’album « Royaume des ombres »)
En tous les cas beaucoup d’atmosphères différentes en vingt sept ans, tout en flottant dans une vase visqueuse qui a conservé cette même « couleur » musicale noire qui varie de nuances en fonction de l’angle dans lequel on se place.
Et quatre ans après « Temps morts », le voici de retour chez les acteurs de l’ombre , sur le devant de la « cène » pour, si vous l’aviez cru mort, « Renaître de ses fanges ».
BORGNE, comme à l’accoutumée, vous offre un artwork somptueux signé Gogo Melone peaufiné dans un digipack d’une noblesse sans fioritures, rustre et efficace. Et son ventre contient huit rejetons qui vous tiennent en haleine sur plus d’une heure de musique extrême aux contours si froids et aux atmosphères si perfides et glauques qu’elles font de ce nouvel album un nouveau fléau à combattre, aussi puissant que la peste noire du 14eme siècle.
Les titres s’infiltrent comme une pandémie diabolique, dans votre cerveau pour mieux l’infecter de sa souillure fétide et pestilentielle, c’est d’ailleurs la besogne ingrate de « l’introspection du néant » qui fait office d’entrée dans le trou noir musical de BORGNE, afin d’atteindre cette anti matière dégueulasse que sont les paragraphes de ce nouveau chapitre.
Car c’est doucement mais sûrement que BORGNE vous laisse pénétrer sa viscosité avec « Comme une tempête en moi qui gronde », plus de huit minutes d’un black metal actuel, froid, glacial et sans vie, où la voix de Bornyhake gerbe sa haine sur des nappes brumeuses de rythmiques et de claviers qui grondent comme les percussions de guerre d’orcs si terriblement enragés que le Mordor lui-même en serait effrayé.
Vous n’y trouverez que peu de variations, mais a contrario vous serez enveloppés dans un linceul de mort extrêmement attirant que vous vous y étoufferez l’âme.
BORGNE mène une danse macabre sur ce nouvel album, d’une manière si religieuse, que les longueurs de titres qui vont bien souvent au-delà des huit minutes ne semblent jamais devenir des litanies incessantes, car les claviers jouent leur rôle d’accompagnement au service du changement de mouvement, permettant ainsi de partir sur une nouvelle direction encore plus incantatoire que le fil conducteur du début.
C’est dans la douleur que les morceaux de BORGNE saignent le mieux, autant la vitesse des percussions mettent de la profondeur, autant les guitares sur un titre tel que « Condamner à errer dans les méandres », vous ronge littéralement de l’intérieur.
Et cela tombe sous le sens, car, comme pour vous rappeler que BORGNE aime tout ce qui est industriel, le démarrage très mécanique de « Ils me rongent de l’intérieur », vient vous rappeler la puissance sans égal de ce groupe, dans tout ce qui touche au noir. Rapidité et malfaisance, sur un lead guitare effrontément efficace, on se lèche les babines pendant huit minutes trente en écoutant cette longue agonie musicale, où terreur et malheur chantent à l’unisson leur victoire. Et c’est bien là que BORGNE excelle dans le genre.
Mais puisque vous avez tenu bon jusqu’à maintenant c’est donc avec ferveur que vous accueillerez « Dans un tourbillon de douleur » qui est une ignominie sans nom tant les vocaux sont torturés, car Bornyhake va chercher le fond de ses tripes pour arroser les rythmiques extrêmement sauvages de ce black metal primaire.
Oui, « Dans un tourbillon de douleur » se fait Barad-Dûr sur ce nouvel album et illumine de feu ces soixante quatre minutes par son âme guerrière et imposante. Certainement la plus malsaine et la plus intense.
Entre deux mondes en ce qui concerne ses inspirations noires, BORGNE vous extirpe de votre torpeur pour arrêter l’espace d’un instant votre routine écrasante d’ennui et vous offrir un trou de verdure où chante une rivière, mais ici, quelque part, hors du temps...C’est vous le dormeur du val.
Même sans connaître la discographie de BORGNE, leur approche de la musique est si sombre, (bien que « Royaume de poussière et de cendres » tende à radoucir ce qui est abrupte) , chacun y trouvera son salut à moins qu’une fois encore celui qui n’a qu’un œil , vous perce de tous parts pour vous faire disparaître et peut-être renaître de vos fanges…
Plongez vers les Ténèbres, BORGNE vous y invite.
Arch Gros Barbare
05/05/2025